De fait le discours référent produit par les propriétaires du savoir légitime, l’Église,
l’École, l’État suivi de peu par le 4ème E, celui de l’Entreprise, nous a habitué à
penser le futur comme la promesse d’un monde meilleur.
Une acculturation historique, une forme d’épistémè qui s’engramme dans les
inconscients comme une évidence … « ça ira mieux demain !».


Ainsi dans l’église catholique notre passage sur terre est une occasion de faire le
bien (en respectant les 10 commandements) et de servir Dieu en portant « la bonne
parole ». La mort ne devrait pas nous inquiéter, ni la nôtre, ni celle de nos proches
puisqu’elle nous conduit à rejoindre ceux qui nous aiment et ceux que nous aimons
dans un au-delà « paradisiaque ».


Au fond le message est clair pour tous les croyants. Le futur se mérite, il n’est pas
offert. Le contrat passé s’affiche chaque dimanche. Investir maintenant pour un
retour possible en investissement plus tard. Reste que le doute subsiste.


L’école tient un message proche. Le savoir libère, en cela qu’il donne accès au
savoir et que le savoir donne accès à la liberté de choix, de conscience, à l’accès à
l’Autre et à sa différence. Le mythe de l’école de la république comme volonté
d’égalité des chances, l’institution l’entretient depuis Jules Ferry. L’école est une
promesse pour s’émanciper de sa condition originelle et devenir un.e
« homme/femme libre ». Il suffit de donner du temps au temps pour que le
changement s’opère.
Malgré les réformes de chaque ministre de l’Éducation nationale sous la 5ème
république et les milliards engloutis, la promesse n’est pas tenue.
Les jours meilleurs attendront. Le doute est permis.


L’état nation, l’état providence, l’état de droit, chacun à leur manière, à leur époque
annonce la couleur. Là encore le message s’articule autour de la promesse d’un
monde plus égalitaire, plus sécurisé, plus juste. La notion d’état se conjugue avec le
temps long. Un monde à venir sans état est impensé. Vouloir s’en écarter c’est
vouloir se perdre.


L’entreprise par le biais de son ascenseur comme une promesse de récompense aux
plus méritants s’affiche dans sa forme paternaliste comme une garantie de progrès.
« Plus tard je voudrais être vieux » disait Coluche. Durer, c’est progresser dans la
hiérarchie. Avec le temps la fidélité est récompensée (Médaille du travail, bâton de
Maréchal).
Les 30 glorieuses, avec l’essor de la grande distribution, comme modèle de réussite
possible pour les petits diplômés donnent du crédit à ce discours.
Plans de carrière, plans de retraite, stock-options, le futur s’annonce radieux.
L’entreprise s’affirme comme lieux de tous les possibles.


Vient l’épisode des confinements, vient le temps de la remise en cause, vient le
temps de faire autrement.
Vient le temps d’un autre rapport au travail au-delà des aspects générationnels déjà
évoqués dans une autre chronique, au-delà d’une indispensable nouvelle
cartographie des leviers du bien-être au travail là aussi déjà publiée, c’est le rapport
au temps qui s’est modifié.

Le présent est revendiqué comme le temps de vivre ses passions, ses
fondamentaux, ses équilibres qu’il n’est plus question de repousser à un futur
incertain.
C’est ici et maintenant qu’il faut traiter la planète, c’est ici et maintenant qu’il faut
profiter de la vie. Il ne s’agit pas seulement d’une vision épicurienne et sa satisfaction
immédiate des besoins « des fashion victimes » mais de donner du sens à sa vie. Faire
quelque chose d’utile qui fait du bien.
Ce sont des millions de salariés.es qui ont changé de travail ces derniers mois qui
ont envahi les campagnes, les maisons avec jardin, loin du bruit et de la pollution, ce
sont des pans entiers d’emplois qui ne sont pas satisfaits faute à des conditions de
travail jugées dorénavant inacceptables (horaires, salaires, etc..).
La recherche de CDD qui supplante celles des CDI énonce le détachement des
salariés.es à leurs emplois.
Plus globalement c’est le rapport au travail qui a muté.
L’implication a supplanté l’appartenance, si elle reste forte, de nombreuses enquêtes
indiquent que la productivité n’a pas baissé avec les métiers en télé travail voire
parfois qu’elle a été en progression. Elle est en questionnement.
Elle va supposer un nouveau dialogue construit autour de la co-responsabilité sur la
nature des ambitions de l’entreprise et ses conséquences sur l’écosystème pas
seulement écologique, mais géopolitique. Ce sont de nouveaux dialogues qui ne
supposent la mort des anciens (le rattrapage des salaires sur l’inflation reste
d’actualité) qui s’invitent à la table des négociations.
Le conflit ukrainien a révélé le rôle joué par les entreprises qui par choix ou sous la
pression des opinons ont quitté la Russie. On pensait l’entreprise neutre, elle ne l’est
pas. Sa façon de faire du business n’est pas neutre, la belle affaire ce n’est pas
récent, loin de là, mais le sociétal n’est plus le seul territoire des élites.


L’entreprise a comme l’église, édicté ses commandements, comme l’école, elle a
créé ses propres universités, comme l’état, elle a affiché ses valeurs au fronton des
salles d’attentes des multinationales ou dans le couloir des PME.
Épiée dans ses dépenses, ses modes de déplacement, ses modes de gouvernance,
ses tolérances avec les violences faites aux femmes, sa culture environnementale.
Plus que d’une évolution c’est d’accommodation dont il faut parler. Repenser les
règles du jeu, inventer de nouveaux accords, un autre dialogue, d’autres agendas.
Le futur ne se regarde pas dans un rétroviseur.
Voilà l’entreprise dans nouvel espace dont elle ne mesure que pour partie le rôle à
tenir.
Changement de paradigme. Assurément.
C’est peut-être ça l’ici et mainenant.

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