En son temps, Jospin, le fils prodigue, avait réclamé un travail d’inventaire des septennats Mitterrand, comme une relecture de l’œuvre du vieux commandeur, perçu par le premier cercle des éléphants, comme une manière de tuer le père pour enfin exister. Un peu comme si on pouvait faire du tri à la manière du mauvais grain et de l’ivraie dans l’héritage de l’homme d’Épernay.

Et pourtant…

En fait ce travail d’inventaire est une clé pour chacun de nous pour avancer.

Il s’agit de mettre à jour les valeurs, les pratiques, les principes, les savoirs dominants qui nous ont nourri et avec lesquels nous nous sommes construits, avec nos forces, nos limites, nos contradictions, nos failles qui fondent notre unicité.

Cette prise de conscience peut nous renseigner sur la nature des ressources qui nous ont amené là dans notre ici et maintenant.

Sont-elles les mêmes que celles à mobiliser pour s’inscrire dans un futur choisi ?

Probablement pour partie, probablement pour partie seulement.

Quelle visite de l’héritage ?

Ce travail d’inventaire réclame de la bienveillance à soi-même. Pas de place au procès, à l’enfant, à l’adolescent, voire à l’adulte que nous avons été. 

Nous faisons au mieux avec qui nous sommes au moment où nous faisons des choix. 

Le risque étant de regarder le passé, avec les lunettes d’aujourd’hui, à la manière de Michelet et de se poser en juge ou en censeur.

Comprendre ne veut pas dire partager.

Tintin au Congo, Tintin en Amérique, avec nos lunettes actuelles transpirent d’un racisme ordinaire insoutenable, ouvrages qui ne sont pas condamnés par les contemporains d’Hergé à leurs sorties. 

Faut-il pour autant cautionner ce discours raciste dans nos pratiques présentes ? 

Fumer dans une voiture dans les années 60/70, les enfants à l’arrière sans être attachés, sans limite de vitesse, ne se lit pas comme une inconscience collective des parents concernés mais comme une forme de liberté, l’accès à la bagnole sur la route des vacances, une gauloise au bec, symbole de virilité affichée sur les écrans de cinéma. 

Autrement dit, replacer les événements dans leur contexte.

Zoomer.

Sans doute ferions-nous différemment aujourd’hui quand nous connaissons la fin de l’histoire ; mais nous ne savions pas, nous n’avions pas conscience que certaines options étaient là, à notre disposition.

Nous faisons au mieux avec qui nous sommes au moment où nous faisons des choix. Le meilleur en fait, au sens où n’en voyons pas d’autre dans notre prisme du moment. En cela, il est forcément le plus adapté au bagage à notre bagage. 

L’habitus aurait dit Bourdieu, l’itinéraire façon Debray, l’engrammé façon psy, les trajectoires façon institut de sondages.

En cela le présent est la somme de nos expériences.

Pas davantage de procès aux parents, qui eux aussi ont fait comme ils pouvaient avec leur histoire. Pas d’excuses ou de pardon à offrir, mais une lecture « lucide » avec un pas de côté qui n’empêche pas les émotions de se manifester.

Si au global, ce matériau qui nous constitue semble compact, solidaire, indémêlable, il suppose cependant d’être dénoué, détricoté, désinhibé.

Derrière ce tout, se cachent des messages parentaux, sociétaux, puissants dont nous n’avons d’autre choix dans un premier temps que de les ingérer, voire les reproduire (famille de médecins ou d’avocats ou de prof de père en fils).

C’est d’une certaine manière ce qui est attendu : tenir notre rôle dans la chorégraphie familiale s’approprier les codes dominants du groupe social auquel nous appartenons. Processus de socialisation.

Enfant sage, enfant libre, enfant soumis, fils préféré, héritier en chef, porteur du nom, artiste de la famille, intellectuel, manuel, rigolo, sportif, fragile etc… Taxinomie familiale qui nous rappelle Blanche Neige et ses sept stéréotypes.

« Tout le portrait de sa mère », « son père tout craché, » « c’est bien un « nom de la famille », qui justifie, cautionne, les comportements… déviants (gourmand, excité, râleur etc…) qu’il est de bon ton de reproduire afin d’entretenir une légende générationnelle, un scénario en quelque sorte, auquel nous donnons du poids.

Je ne peux que vous conseiller sur ce thème la lecture de « Thésée sa vie nouvelle » de Camille de Tolédo

Ce fameux d’où je parle, c’est-à-dire à partir de quel matériau, quel cursus émotionnel, quelle fabrique de « ma » pensée je perçois la réalité et établis mes grilles de lecture.

Quelle partie de moi se manifeste, se fait entendre, prend une place, sa place dans ce nouvel équilibre entre héritage et émancipation ?

D’abord, en reconnaissant notre part de travail dans cette fabrication de nous-même, nous sommes la résultante de nos réponses comportementales face aux injonctions, aux manques, aux agressions ressenties.

On se construit avec, on se construit aussi contre, en adhésion ou en opposition, en soumission ou en affirmation de nos différences affichant nos contradictions avant de pouvoir les assumer.

Comme un ADN socio-culturel transparent.

Cet héritage je le connais, je sais ce que garde, je sais simultanément à quoi je dis non.

L’occasion de dire « je ».

« Je vous aime, mais je pars ». Voilà que je cite du Sardou ! J’ai une vie à vivre, pas une vie par procuration, la fameuse vie rêvée des anges, mais la mienne avec ses doutes, ses difficultés, ses risques. J’ai beaucoup appris de vous il me faut apprendre de moi. Tester mes valeurs, écrire mon histoire, être au monde.

Les fondamentaux.

Ce travail d’inventaire ouvre des perspectives en nombre. Riche d’un héritage choisi, sans animosité, regrets ou remords. Plus facile à dire qu’à faire. Il s’agit d’écrire ses propres pages, produire du sens, développer des comportements, des pratiques alignés avec nos croyances.

Ce qui suppose un second travail : mettre à jour nos « fondamentaux », distinguer ce qui est négociable de ce qui n’est pas négociable dans la vie que j’ai choisie ; tout le reste devenant mécaniquement ouvert.

De fait, ces fondamentaux sont limités en nombre si on veut échapper à la rigidité.

Ils sont les bases de la congruence.

L’attachement aux lieux, aux couleurs, à l’espace, à l’eau, au beau, à Dieu, à la famille, à une passion, s‘annoncent comme des pistes possibles.

Dit autrement, ce qui m’est essentiel : donner la vie, transmettre, créer, écrire, danser, chanter, agir, construire, rire, faire rire, aimer, se donner des règles de vie, respecter des principes énoncent d’autres pistes.

Ces fondamentaux sont une boussole intérieure, des balises sur la route, une lumière dans l’obscurité, issus du passé et/ou de l’ici et maintenant et/ou en phase d’éclosion. Il nous faut apprendre à les appréhender, les protéger, les faire cohabiter un peu comme un sac à dos sur le chemin de Compostelle délesté du superflu, de l’ostentatoire, des figures inutiles qui nous encombrent, nous ralentissent dans notre quête de nous-même. 

Ils nous aident dans notre écologie personnelle en nous permettant de choisir nos « batailles » ou comment se concentrer sur l’essentiel. Dit autrement, de ne pas dépenser de l’énergie inutile dans des interactions qui n’en valent pas la peine.

Et cet inventaire prend tout son sens.

Il y a quelques années, allongé sur un divan pour tester la position couchée, mon analyste (une femme) m’avait expliqué que la vie se divise en deux, qu’une première partie se passe au service des autres en héritier de pratiques, de comportements adaptés, de codes incorporés plus ou moins consciemment, puis une seconde partie en autonomie en affirmation de ses choix, à l’écoute de son désir. La question essentielle (existentielle !) étant de savoir quand commence la seconde partie de notre vie.

Alors pourquoi repousser au lendemain ce qu’on peut faire le jour même ?Tiens un dicton en héritage !

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