A la manière de Jouvet, de Gabin, de Delon, à leur époque, Bacri faisait du Bacri. La marque des grands.
Une marque de fabrique reconnaissable immédiatement, comme le style Modiano, un pas de danse de Béjart, un concerto de Beethoven ou un tableau de Dali. Cette élocution saccadée où les mots se bousculent, à la fois tranchante et bègue, où la parole cherche à rattraper la pensée.
Il y a chez Bacri cette capacité à porter des répliques qui font mouche, cette distance qui permet la proximité, ce pouvoir de dire ce que nous n’oserions pas penser.
« Vous faites quoi là ?»
« On s’emmerde » fait-il dire par les parents aux fiançailles de leur fils !
« Je la traite très bien ! Je la traite mal…De toute façon on se voit jamais ! Je voudrais la traiter mal, j’aurais pas le temps ! »
« Smoking no smoking », La co-adaptation de la pièce d’Alan Ayckbourn en collaboration avec Agnès Jaoui et Resnais à la réalisation, qui leur donnera comme surnom « les Jabac », confirme après le succès de « Cuisine et dépendances » la puissance d’écriture d’un couple à la scène et à la ville qui allait marquer son époque par une signature de film de gauche bien-pensante : « Comme une image » « Le goût des autres », « Place publique », « Au bout du conte ».
Avec pour ma part une tendresse particulière pour « Un air de famille ». Cette pièce devenue film qui s’appuie sur les travaux en analyse transactionnelle, dont la mère d’Agnès Jaoui était une grande spécialiste, pour nous proposer une lecture des jeux de rôles présents dans les fratries, nourris des fantômes du passé. Bacri en grand frère tenancier du Bar- restaurant « Au Père tranquille » – le pitch pose déjà le décor -.
Le reste n’est que cadeau.
Pour rappel Bacri n’a pas toujours écrit pour lui à l’exemple de sa collaboration avec Alain Chabat pour « Obélix et Cléopâtre »
Alors bien sûr il cultivait en public son côté bougon, installé avec « Didier », renouvelé cent fois, dans sa filmographie, complété par quelques interviews cash, pourfendant les compromis, les écarts entre les discours et les pratiques, des peoples et des politiques, avec un côté donneur de leçon, façon gauche caviar, qui pouvait en agacer quelques-uns.
6 fois nommés comme meilleur acteur jamais récompensé dans cette catégorie. Peut-être pas un hasard !
Comment à la manière de Signoret/Montand poser un regard critique sur les limites d’un système auquel on appartient et qui apporte un peu plus que du beurre dans les épinards, sans apparaitre déloyal à la grande famille du cinéma. Équilibre instable.
A ce titre « Le sens de la fête » nous propose un Bacri plus apaisé, plus rassembleur. Comme une fin de vie. Moins polémique.
Reste la fragilité, presque l’angoisse de ne pas plaire. J’ai en souvenir dans une avant-première du « Comme une image » l’avoir vu après la projection, souffrir le martyr des moindres remarques venues des spectateurs et répondre avec agressivité à ceux qui n’étaient pas des détracteurs, loin s’en faut, mais qui osaient formuler un autre point de vue. Il était là, comme blessé, vexé qu’il puisse y avoir une autre interprétation que la sienne dans la construction d’un plan, le choix d’un décor, le message envoyé.
Comme une peur profonde de ne pas être au rendez-vous.
Comme une incapacité à stoker les cadeaux.
Comme une fêlure profonde que le succès ne remplit pas.
De quoi bougonner peut-être !
Alors comme la conscience de liberté qui s’essentialise dès qu’on nous en prive : c’est l’absence de Bacri qui va nous rappeler combien il était précieux dans le paysage culturel français.
Merci
bravo pour cette belle analyse. Et oui, avec Bacri, beaucoup de chef d’oeuvres croquants avec justesse ce que nous sommes tous un peu. Et que dire du « sens de la fête », magnifique avec un Bacri montrant des cotés inhabituels de lui. Film que j’ai le plus revu, chaque fois avec grand plaisir!!!
Jean